FLORENCE (RÉPUBLIQUE DE)

FLORENCE (RÉPUBLIQUE DE)
FLORENCE (RÉPUBLIQUE DE)

Les débuts de la commune de Florence ressemblent à ceux de beaucoup d’autres communes italiennes. Ville de l’Empire romain germanique, elle s’émancipe progressivement au XIIe siècle de la tutelle impériale et se donne les institutions des communes contemporaines: consuls, podestat, puis, en liaison avec la formation d’une classe nouvelle de marchands, organes «populaires». Quand les libres institutions des cités italiennes s’inclinent les unes après les autres devant le pouvoir des nouveaux seigneurs, Florence, sinon la seule, du moins la plus prestigieuse, sauvegarde sa constitution «populaire».

Cette constitution n’a pas tous les mérites qu’on lui prête parfois. Même au moment de son plein épanouissement, la démocratie florentine n’a jamais impliqué la participation de tout le peuple à la chose publique; sauf exception, un petit groupe de marchands fortunés se la réserve, petit groupe qui va s’amenuisant avec le temps. Compte tenu de ces limites, inévitables à l’époque, il subsiste cependant la réalité originale d’un gouvernement républicain, dont les Florentins sont fiers. La libertas , liberté de se gouverner soi-même, nourrit le courage de ses citoyens et, à l’occasion, la réflexion de ses humanistes. L’historien moderne, qui en prend conscience, ne peut manquer de rapprocher cet idéal et cette pratique républicaine des autres réussites florentines: est-ce un hasard si la patrie de la libertas est aussi celle des hommes d’affaires les plus dynamiques de l’Occident, des humanistes et des artistes?

Né au XIVe siècle, l’idéal républicain persiste longtemps, et les institutions qui lui ont servi de support ne disparaissent pas avant le XVIe siècle. Dans la pratique pourtant, la libertas s’affaiblit. Après 1434, sans à-coups décisifs, la république se dégrade insensiblement sous Côme de Médicis, plus nettement sous Laurent. Il est intéressant de chercher à expliquer ce glissement vers la seigneurie, alors que les circonstances générales (incomparable vie de l’esprit, brillante réussite commerciale) avaient peu changé.

Naissance de la commune de Florence (jusqu’à 1250 env.)

Au début du Moyen Âge, Florence, fondée par César en 59 avant J.-C., ne garde plus de son passé romain que des ruines et quelques légendes. La renaissance de la vie urbaine est lente, et la ville n’émerge que peu à peu de la médiocrité. Puis elle bénéficie du mouvement d’urbanisation qui anime toute la chrétienté. Dès la fin du XIe siècle, clercs et laïcs aménagent la campagne autour des murailles; l’agglomération se peuple (une enceinte plus étendue est construite à la fin du XIe siècle, une autre encore vers 1175); ses marchands sillonnent l’Occident (Parme, fin du XIe siècle; vallée du Pô, Sicile, Alpes, courant du XIIe; France, fin du XIIe). Ce dynamisme a ses répercussions politiques. Le marquisat de Toscane, où se trouve Florence, appartient au royaume d’Italie, lui-même partie constitutive de l’Empire romain germanique, et la tutelle des représentants de l’empereur pèse aux Florentins. L’affaiblissement de l’empire les enhardit. Ils s’émancipent progressivement au XIIe siècle et, comme le font, dans les villes italiennes, tant d’autres citoyens, ils prennent leurs affaires en main. En 1138, ils ont à leur tête des consuls, aidés, à partir de 1167 au moins, par un conseil. Au gouvernement consulaire succède, en 1207, celui du podestat, magistrat étranger élu pour une brève durée et pourvu des pleins pouvoirs judiciaires, militaires et exécutifs. Organisés et armés, les Florentins sont à même d’imposer leur autorité aux seigneurs voisins, vassaux de l’empereur, en particulier à ceux qui bloquaient leurs communications (période culminante de la lutte, 1140: 1210); ils peuvent tenir en respect les villes (Arezzo, Pise et Sienne) qui, autour d’eux, menacent leurs routes et leur disputent la domination sur le plat pays, et enfin créer un contado (circonscription rurale d’une cité, qui, dans son extension maximale, correspond au diocèse).

Le gouvernement du «popolo»

L’autonomie communale

Au milieu du XIIIe siècle, Florence n’est qu’une cité toscane comme les autres, moins riche que Sienne par exemple, et son indépendance n’est pas totale: en 1246, l’empereur Frédéric II lui impose encore son bâtard comme podestat. Plusieurs circonstances vont contribuer à la distinguer de ses voisines.

En premier lieu, c’est à Florence que l’effacement de l’autorité impériale en Italie est le plus marqué. Certes, il s’est formé, dès 1216, à l’occasion d’une vendetta entre deux familles des bords de l’Arno, un parti dit « gibelin », fort du soutien de l’empereur, qui a fini par regrouper tous les partisans italiens de l’empire. Mais les succès des gibelins à Florence sont de brève durée: ils ne prennent que deux fois le pouvoir (1237-1240 et 1260-1268). Après quoi ils sont bannis pour la plupart, et, s’ils restent autour du contado prêts à participer à toutes les coalitions, leur rôle politique est insignifiant. Cet effacement est la conséquence de celui de l’empereur, dont les séjours en Italie sont rares (1313, 1327, 1354, 1368), brefs, plus alarmants que dangereux, et dont l’administration, en Toscane du moins, a disparu.

Le second fait, c’est le développement du parti guelfe, rassemblé autour du pape, et hostile aux gibelins. Né en 1216, il a pris toute sa force en 1266, quand Charles d’Anjou, désigné par Urbain IV, s’est emparé du royaume de Sicile, mettant son autorité au service des guelfes, qui font désormais la loi dans l’ensemble de l’Italie péninsulaire. Or, Florence, dont les marchands ont financé la guerre victorieuse du comte d’Anjou, a étroitement lié son sort aux guelfes. La protection du pape et du nouveau roi de Naples est décisive pour la cité. Sur le plan politique, l’intervention des Angevins tire plus d’une fois les Florentins d’un mauvais pas, lors par exemple des guerres qui opposent ceux-ci à Pise et à Lucques, en 1315, 1326 et 1339-1342. Leur indépendance, il est vrai, est menacée à ces occasions par ces protecteurs trop puissants qui s’imposent passagèrement comme seigneurs – terme ambigu – de la ville : la troisième seigneurie, exercée en 1342-1343 par un baron du roi de Naples, le duc d’Athènes, est unanimement stigmatisée par les chroniqueurs; mais, à l’égard de l’empereur, l’autonomie communale est désormais totale.

Institutions populaires et expansion économique

Cette chance politique a joué un grand rôle dans l’essor de l’économie florentine à la fin du XIIIe siècle et dans la stabilisation de ses institutions populaires.

Dès le début du XIIIe siècle, la bonne marche des affaires, leur diversification s’étaient manifestées par l’établissement de métiers nouveaux ou «arts»: les arts de la soie, des épiciers, des merciers, des fourreurs, du change et, plus notables encore, l’art de Calimala, l’ancien art des marchands, désormais spécialisé dans l’affinage des draps étrangers, et l’art de la laine (1212). À ce négoce, favorisé à la fois par la conjoncture économique, l’importance de la population urbaine (100 000 habitants en 1300) et l’esprit d’initiative des Florentins, les circonstances décrites plus haut donnent un élan exceptionnel. Stimulée par les privilèges pontificaux (le pape choisit ses banquiers parmi les hommes d’affaires florentins) et par les libéralités du roi de Naples (larges facilités commerciales dans son royaume), l’activité des marchands toscans s’exerce dans tous les États d’Europe et concerne d’innombrables denrées: épices, ivoires, bijoux, étoffes, laines, colorants, alun, blé, armes, chevaux, monnaies. Leur technique commerciale est, par son caractère systématique, supérieure à celle de leurs concurrents, aussi bien étrangers qu’italiens: les Florentins se groupent en compagnies, avec capital social, dépôts de tiers, succursales, personnel nombreux; pour animer ces grosses affaires, ils élaborent la comptabilité en partie double, la lettre de change, et, d’une succursale à l’autre, un système postal si régulier que les papes l’utilisent. Fruit de cette réussite, la monnaie d’or florentine, frappée pour la première fois en 1252, est si sûre qu’elle s’impose comme l’étalon monétaire international.

Bien que quelques nobles aient entrepris une carrière commerciale, l’enrichissement général a surtout profité à de nouveaux venus; riche et dynamique, une bourgeoisie d’affaires s’est formée qui entend participer à la vie publique. À partir du moment où les gibelins – surtout des nobles – sont éliminés, la conquête du pouvoir est chose aisée pour ces marchands si bien en cour à Rome et à Naples. En procédant par étapes, ils atteignent leur but à la fin du XIIIe siècle. Les institutions qu’ils élaborent existent à la même époque dans d’autres villes italiennes, mais sans la durée ni l’éclat qu’elles acquièrent à Florence. Elles sont guelfes: la parte guelfa , organisme créé en 1273, veille aux intérêts du parti. Elles sont surtout aux mains du «peuple», ou popolo , c’est-à-dire les membres non nobles des arts, ou corporations; le vieux système du podestat reste en place, avec ses conseils, mais la réalité du pouvoir appartient à de nouveaux organes, créés en 1282-1284 et dominés exclusivement par les popolani : le collège des prieurs, représentant les arts, détient le pouvoir exécutif, et deux conseils spéciaux (réduits à un en 1329) votent les lois. Ces conseils sont dits «du capitaine», du nom de l’officier étranger, analogue au podestat, qui les préside.

C’est alors que les Florentins forgent, et à juste titre, l’idéal de la libertas ; en effet, prieurs et membres des conseils étant constamment renouvelés (tous les deux mois pour les prieurs), des centaines de citoyens non nobles peuvent gérer les affaires de l’État. Il s’agit bien d’une république, très différente des seigneuries voisines. Mais cette république, à laquelle ne participe qu’une minorité de citoyens, n’a aucun caractère démocratique. La plupart des groupes sociaux sont exclus du pouvoir: les nobles et assimilés (magnats) le sont depuis 1293; le prolétariat ouvrier et les habitants du contado , ceux-ci parce que non citoyens, ceux-là parce que non inscrits à un art, n’y ont jamais accès; enfin, les gens du popolo minuto , les petits artisans des «arts mineurs» n’y ont vraiment part qu’entre 1343 et 1378.

Florence et les crises du XIVe siècle

À plusieurs reprises, pendant la première moitié du XIVe siècle, le monopole du popolo grasso (le «peuple gras», les grands commerçants) avait suscité l’opposition des magnats ou du popolo minuto. Les difficultés que connaissent l’Europe et Florence en particulier, après 1330-1340, aggravent le déséquilibre.

L’horizon politique s’assombrit. Avec Pise, les guerres répétées, qui n’avaient pas abouti (1313, 1325, 1339-1345), reprennent en 1362-1364. D’autre part, Florence doit compter davantage avec les vastes États qui se forment autour des plus grandes cités italiennes et que leurs ambitions rendent redoutables. Contre Milan, la lutte est dure en 1353, désespérée en 1399-1402. La désagrégation de l’alliance guelfe complique la situation: repliée à Avignon, la papauté cherche avant tout à rétablir son autorité sur ses États italiens, et les opérations de ses légats en Italie centrale inquiètent les Florentins; une guerre les oppose même à Grégoire XI en 1376-1378. Déchiré par les luttes de succession, le royaume de Naples ne peut plus apporter aucun secours.

Une crise plus générale et plus profonde aggrave les difficultés politiques. Les Florentins, comme les autres, ont été décimés par la peste de 1348 et celles qui ont suivi (1363, etc.). Le bilan probable de l’épidémie de 1348 s’élève de 40 000 à 50 000 morts, soit près de la moitié de la population urbaine. La guerre de Cent Ans désorganise son commerce, la banqueroute des rois ruine ses financiers (Bardi et Peruzzi, 1343-1346). L’industrie du drap périclite (24 000 pièces en 1377 contre plus de 70 000 en 1338). Le ravitaillement est mal assuré (récoltes désastreuses, guerres, mauvaise volonté des voisins): des famines éclatent en 1353, en 1369, en 1375.

La crise, bien sûr, n’est pas aussi grave pour tous. Beaucoup de marchands se reconvertissent: la soie remplace la laine, et, si la France se ferme au commerce, l’Allemagne, la Flandre, l’Espagne offrent de nouveaux marchés. Mais les plus pauvres, les ouvriers de la laine en particulier, sont durement frappés. Misère des milieux laborieux, persistance de la puissance des patrons expliquent à la fois la révolte de 1378 et la réaction qui suit.

La révolte des Ciompi et le gouvernement oligarchique

En 1378, les récentes famines, la crise politique, morale et économique entraînée par la guerre contre la papauté, la détérioration des conditions de travail achèvent d’exaspérer les plus défavorisés des travailleurs de la laine, les Ciompi ; au terme d’une série d’émeutes, ils arrachent la création de trois arts nouveaux et leur participation au gouvernement. Sans formation ni programme, désunis, haïs, ils doivent y renoncer en 1382.

La réaction est brutale; popolo minuto et popolo medio (la petite bourgeoisie) en sont aussi victimes; groupées autour des Albizzi, quelques familles du popolo grasso , une oligarchie, s’emparent de l’État jusqu’en 1434.

Le bilan du gouvernement oligarchique est positif à plus d’un titre: grâce à la prise d’Arezzo, de Pise (1406), de Cortone (1411), de Livourne (1421), succédant après 1350 à celles de Prato, de Pistoia, de San Gimignano, la question des débouchés est enfin résolue; Florence devient une puissance maritime, son territoire double presque. À l’extérieur, s’adaptant avec souplesse à la nouvelle conjoncture, les marchands florentins continuent leur progression (Espagne, Orient); de prodigieuses fortunes s’édifient (Datini, Pitti). Parallèlement apparaît le premier humanisme (Salutati, Bruni). Cependant, sur tous les plans, la démocratie est plus illusoire que jamais. Les lourds impôts pèsent surtout sur les classes pauvres (malgré l’institution d’un cadastre en 1427), la liberté politique n’appartient qu’à un groupe restreint d’individus, les institutions sont dénaturées par la création d’organismes et de commissions à la dévotion des puissants du jour: Otto di guardia – police politique – en 1378, manipulation des bourses servant au tirage au sort des magistrats à partir de 1387, multiplication des commissions législatives extraordinaires; les opposants sont exilés (Alberti, 1387).

La prépondérance des Médicis (1434-1494)

L’ascension et le pouvoir de Côme

La famille Médicis est, au XIVe siècle, une des plus importantes du popolo , mais elle n’exerce pas d’influence particulière. Salvestro de Médicis, favorable en 1378 à une réforme démocratique des institutions, fonde la fortune politique de la famille grâce à l’appui que cette attitude lui vaut dans le petit peuple; Jean, fils de Bicci (mort en 1429), chef avisé de l’une des compagnies les plus actives de la période oligarchique, établit sa fortune commerciale. Quand les erreurs des oligarques (échec devant Lucques, injustice fiscale, inquisition policière redoublée) eurent multiplié les mécontents, ceux-ci se tournent naturellement (1433) vers le chef des Médicis, Côme, fils de Jean. Sa popularité empêche Rinaldo degli Albizzi de l’éliminer. Après un exil d’un an, il est triomphalement rappelé à Florence, d’où Rinaldo doit s’exiler (1434). Le pouvoir de Côme va s’exercer pendant trente ans sans conflits intérieurs majeurs, sauf quelques complots vite enrayés (1441, 1457). Dans une ville où les rivaux potentiels, chefs de compagnies aussi puissantes que la sienne, ne manquent pas, où cinquante ans de gouvernement oligarchique n’ont pas éteint le vieil esprit de libertas , le long exercice de cette autorité est surprenant. Il s’explique si l’on considère avec quelle habileté les interventions de Côme s’adaptent aux besoins et aux réalités florentines.

Les difficultés économiques du XIVe siècle finissant ne sont pas toutes résolues: l’art de la laine végète, des artisans s’exilent. S’étant rendue maîtresse de Pise, Florence n’a pu se donner une marine digne de ce nom. Mais le sens commercial des Florentins est toujours aussi éveillé. Plus solides qu’avant (les filiales ont remplacé les succursales), leurs compagnies, qui se spécialisent dans la banque, ne cessent d’étendre leur activité (Espagne, Portugal, Syrie, Égypte, monde turc). Dans la ville même, l’industrie de la soie est l’une des plus florissantes d’Europe. Sur le plan intellectuel, l’enseignement des humanistes, d’un Niccoli (1364 env.-1437), d’un Manetti (1396-1459), d’un Alberti (1404-1472), d’un Palmieri (1406-1475), même réservé à une élite bourgeoise, commence à éveiller un écho. Leur passion pour l’Antiquité, leur intérêt pour le passé de leur patrie et pour sa mission présente, leur exaltation de l’individu suscitent l’image d’un homme nouveau, supérieur par sa culture, ses qualités physiques et morales en même temps que bon citoyen. Sur le plan politique, la précarité de la position de Florence en Italie contraste avec ces succès. Les grands États italiens, qui n’ont pas tous trouvé leur équilibre, n’ont pas renoncé à leurs ambitions; deux menaces nouvelles se précisent, celle de Venise, qui cherche en Italie un dédommagement à ses échecs en Orient, et celle du roi de Naples, aragonais depuis 1442, qui convoite l’Italie centrale.

De ces réalités disparates Côme tire merveilleusement parti. Pour guider leurs affaires étrangères, les Florentins souhaitaient un homme d’envergure, bon diplomate (plus que sur les champs de bataille, les conflits se résolvent désormais dans les chancelleries); ce fut Côme. Mais, chez eux, ces grands négociants n’auraient pas accepté une suprématie de type seigneurial, contraire du reste aux idées de l’époque: l’«homme complet» joue un rôle dans la vie de l’État. D’où l’attitude de Côme: partout traité en prince, il ne sera à Florence que le premier citoyen. Il reste après 1434 le marchand qu’il était jusque-là; parfaitement avisé, il choisit avec soin ses collaborateurs et les éléments de son activité (commerce et surtout banque). Répartie entre Florence et ses filiales à l’étranger (Venise, Pise, Avignon, Genève, Valence, Barcelone, Bruges, Londres, puis, fondées par lui, Milan, Lyon et Bâle), sa fortune double en vingt ans. Il s’entoure d’humanistes et d’artistes, qu’il emploie à divers travaux; mais ses goûts restent simples (comparer au palais Pitti sa demeure de la via Larga, palais Medici-Riccardi). Il adopte le même style quand il participe aux affaires publiques: les institutions fondamentales restent celles de la République, remaniées par l’oligarchie, sauf le conseil des Cent créé en 1458, et il n’y prend part qu’exceptionnellement; il ne fut que trois fois gonfalonier de justice, pour deux mois chaque fois.

La stabilité de son pouvoir est due aussi à la combinaison d’éléments plus subtils et moins visibles. Son autorité naturelle est grande. La fidélité de familles aisées lui est acquise (une oligarchie s’est substituée à une autre). Au besoin, il utilise habilement les institutions à son profit: les Otto di guardia sont à sa dévotion, les balie (commissions législatives provisoires) à l’écoute de ses désirs; des scrutateurs qui lui sont dévoués (accopiatori ) éliminent, parmi les candidats aux magistratures, les indésirables; des impôts progressifs frappent les milieux traditionnels de l’opposition. Il peut se prévaloir, enfin, de la réussite de sa politique étrangère: il l’a emporté sur une coalition milano-napolitaine (Anghiari, 1440); il a obtenu que Florence héberge, en 1439-1440, le concile œcuménique qui devait réconcilier provisoirement Grecs et Latins; il a joué un rôle de premier plan dans la conclusion du traité de Lodi (1454), qui établit entre les puissances italiennes une paix générale et allie, pour la première fois depuis longtemps, Florence et Milan. Tous ces succès lui valent un prestige considérable.

Splendeur et fragilité du principat de Laurent

Après la mort de Côme (1464) et celle de son fils, Pierre le Goutteux (1469), le pouvoir échoit à son petit-fils Laurent. Bien des avantages, à première vue, consolident le pouvoir de Laurent: ses qualités personnelles, charme, culture, talent poétique; sa formation diplomatique; une assurance propre à qui a grandi dans la certitude du pouvoir. En outre, les esprits ont évolué: dans le peuple, la prééminence des Médicis semble naturelle à beaucoup; quant aux humanistes de cette génération (Ficin, Politien), ils se tournent de préférence vers la spéculation philosophique et, quand ils parlent des choses de l’État, c’est pour exalter le service du prince. Les princes voisins le considèrent enfin comme un égal, et il obtient même du pape, en 1489, l’élévation de son fils Jean, alors âgé de quatorze ans, au cardinalat. Pourtant, son gouvernement est secoué par des crises d’une violence jamais atteinte sous Côme (il échappe à un assassinat en 1478), et, après sa mort (1492), sa dynastie ne lui survit que deux ans. Certes, la conjoncture générale est moins favorable: la tension permanente entre les grands États italiens (Venise, Milan, Naples, Rome même) oblige Florence à de lourdes dépenses pour défendre son intégrité territoriale (1478-1480, hostilités contre le pape; 1482-1484, contre Venise). Une crise économique affaiblit l’Europe dans les années 1480. Mais ces difficultés ne sont pas insurmontables. En réalité, il manque à Laurent les qualités de son grand-père. L’homme politique commet des fautes. Les circonstances l’y incitant (conjuration de 1478), il précipite sa marche vers le pouvoir personnel. Des assemblées nouvelles, dont il fait partie (Conseil majeur en 1471, Conseil des Soixante-Dix en 1480, Comité des Quatorze en 1490), dépossèdent entièrement de leur autorité les anciens conseils républicains. Une opposition commence à s’organiser, qu’alimentent son faste, ses dépenses excessives, ses expédients pour trouver de l’argent. L’incompétence de l’homme d’affaires aggrave la situation. Sans formation, Laurent surveille son entreprise de trop loin; la mauvaise orientation de sa compagnie, l’imprudence des directeurs entraînent la faillite de certaines filiales (Londres, Bruges, Milan) avant 1480. Son prestige personnel est tel qu’il meurt en pleine gloire, mais son fils Pierre hérite d’une situation catastrophique. La compagnie fait faillite en 1494; la ruine de Pierre, ses maladresses quelques mois plus tard lors de l’expédition de Charles VIII en Italie lui aliènent complètement les Florentins; il est chassé, la république restaurée.

Savonarole et la fin de la république (1494-1530)

Si les maladresses de Laurent et de Pierre ont compromis la situation des Médicis, la défaite de ceux-ci n’est pas sans appel; ils conservent de nombreux fidèles. Les appuis qu’ils trouvent auprès des États voisins, tous monarchiques, leur permettront finalement de se rétablir; mais les traditions communales ne sont pas mortes et, avant que disparaisse définitivement le sens de la libertas , ses défenseurs auront gardé espoir pendant trente-six ans. Rappelons les principales scènes de ce dernier acte.

1494-1498: la prédication enflammée du dominicain Savonarole provoque chez les Florentins une réforme morale, en réaction contre le luxe et le relâchement de l’époque précédente, en même temps que politique; une république aristocratique est instituée, dont l’organe essentiel est un grand conseil regroupant des représentants des principales familles.

1498-1512: condamné par le pape, Savonarole est abandonné par ses partisans, et brûlé (1498). Les adversaires les plus acharnés des Médicis («Enragés») prennent le pouvoir. La république aristocratique est maintenue (un des secrétaires en est Machiavel); elle est même renforcée par l’institution d’un gonfalonier à vie.

1512-1527: le gouvernement étant francophile, l’équipée italienne de Louis XII terminée, les adversaires du roi de France (roi d’Aragon, pape) s’emparent de Florence et balayent ses partisans. Imposé par le pape, le cardinal Jean de Médicis prend le pouvoir. Élu pape (1513), il garde le contrôle de la ville, de même que son cousin Jules, pape en 1523 sous le nom de Clément VII.

1527-1530: le pape est défait par Charles Quint (prise de Rome, 1527), un soulèvement chasse les Médicis. La république renaît, république chrétienne: Jésus-Christ est proclamé roi de Florence.

1530: pape et empereur, réconciliés, décident d’en finir avec Florence, qui se rend après un siège de onze mois. Les institutions républicaines disparaissent, les adversaires des Médicis sont dispersés, exilés; Alexandre, arrière-petit-fils de Laurent, devient duc de Florence.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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